Estampe et gravure 

Si les mots « estampe » et « « gravure » sont souvent confondus dans une signification unique, il est généralement considéré, néanmoins, que l’estampe désigne l’œuvre réalisée et la gravure l’ensemble des techniques de production. Ces techniques nécessitent une matière dure intermédiaire pour produire une œuvre support destinée à être encrée et imprimée, au moyen d’une presse, sur une feuille de papier.

Le terme « estampe », de même étymologie que le mot « tampon » est utilisé pour désigner l’œuvre issue d’un procédé d’impression sur un support, généralement du papier.

Estampe originale et estampe d’interprétation

Pour être considérée comme une œuvre d’art à part entière, une estampe ne doit pas reproduire une œuvre existante mais doit former un projet esthétique inédit. Puisque son tirage est limité à un petit nombre, la série est considérée comme une œuvre, ainsi que chaque estampe la composant (considérée comme une pièce unique). Les tirages limités sont souvent numérotés et signés par l’artiste.

L’œuvre originale d’un artiste (peinture, dessin, etc.) peut également être interprétée et transposée sur la matrice-support par un lithographe ou un graveur (par exemple au 18e siècle, Gilles Demarteau est l’un des graveurs attitrés de François Boucher). Ce travail peut se faire sous la direction de l’artiste lui-même qui parfois appose sa signature sur le tirage. Le fait que l’artiste n’ait pas gravé lui-même à partir de son œuvre sur la matrice (pierre, cuivre, etc) n’est pas nécessairement lié à la valeur de la dite estampe.

Trois procédés principaux : gravure en relief, à plat et en creux

Les procédés de gravure sont nombreux et impossibles à tous les décrire dans ce court résumé mais on peut en distinguer, à la base, trois types :

  • les gravures en relief ou « taille d’épargne » (sur bois ou linoleum),
  • les gravures en creux (sur métal ou verre et cristal),
  • les gravures à plat (sur pierre).

Les premières gravures connues sont réalisées en relief, ou « taille d’épargne » sur du bois (xylographie)

La première technique de gravure identifiée est la xylographie (du grec xylo, « bois » et graphein, « écrire »), apparue en Chine au VIIème siècle.

Il s’agit d’une technique de gravure en relief : le bois étant creusé à l’aide d’outils (gouge, ciseau, canif etc) l’image de la partie restée en relief est imprimée. On parle de « taille d’épargne », puisque, le dessin seul étant conservé au niveau initial de la surface de la planche, il est « épargné ».

La gravure sur bois en Europe se généralise au XVe siècle avec l’usage du papier et l’imprimerie

La gravure sur bois de fil est le plus ancien procédé utilisé : il consiste à sculpter une planche de bois que l’on imprimera à la manière d’un tampon. Seul conviendra un bois dur et homogène, généralement d’arbre fruitier, cerisier, poirier ou pommier que l’on coupe dans le sens des fibres (bois de fil) et laisse sécher plusieurs années. On dessine sur la planche le motif à graver, puis à l’aide d’une lame acérée, on champlève le dessin : on enlève la matière au droit des espaces blancs du dessin. Les gravures au bois de fil se reconnaissent aisément à leur manque de finesse résultant de la texture du bois, mais ce procédé présente l’avantage d’être compatible avec l’impression typographique.

Ainsi, la gravure sur bois offre à peine, à l’origine, les caractères d’un art : elle sert à tailler des sceaux économiques, des lettres en relief, dont les scribes et enlumineurs font usage pour imprimer les majuscules dès le XIIe siècle.

Au XVe siècle, l’art de tailler le bois pour en obtenir des estampes se répand des monastères dans le monde séculier : de nombreux ateliers fonctionnent notamment en Allemagne et fournissent l’Italie, la France et les Pays-Bas en images. À partir d’une matrice unique plusieurs centaines d’exemplaires d’une même image peuvent être imprimés.

C’est la généralisation de l’usage du papier qui permet l’explosion de la gravure sur bois, support unique pour imprimer en même temps le texte et l’image.

Alors que l’imprimerie substitue les livres aux manuscrits, la gravure se substitue à la peinture en miniature. On peut facilement illus­trer des textes en les insérant dans les formes des typographes et les planches de bois résistent à un grand nombre de tirages lorsqu’elles sont bien gravées sur des supports convenables.

Parallèlement, le perfectionnement de l’exécution artistique ne tarde pas à être sensible. L’art de graver sur bois fait des progrès continus au cours du XVème siècle.

Albrecht Dürer (1471-1528), peintre, dessinateur et graveur est ainsi l’un des premiers artistes à hisser la gravure au même rang que les autres arts. Il maîtrise toutes les techniques connues en son temps : la gravure sur bois, le burin, l’eau-forte et la pointe sèche. Ses principales séries sur bois, révolutionnaires en leur temps, ont fait sa célébrité (l’Apocalypse, la Vie de la Vierge et la Grande Passion).

Les gravures sur bois ont donc permis une large diffusion d’images pieuses, puis, à partir du milieu du XVe siècle, l’illustration des livres qui commencèrent à voir le jour, souvent avec des tirages considérables, car d’un coût de fabrication raisonnable.

Cependant, même si elle ne cesse pas d’être pratiquée par les artistes et l’imagerie populaire (en France à Epinal par exemple), la gravure en relief perd de son attrait à partir du XVIIème siècle, concurrencée par les techniques de gravure en creux sur métal, qui offrent une plus grande finesse de traits et des possibilités beaucoup plus étendues, puis au XIXème siècle par la lithographie.

Les estampes japonaises ou ukiyo-e, images du monde flottant

La xylographie fut utilisée dès le VIIIe siècle au Japon, d’abord pour l’écriture des livres et la copie des sûtras (canons bouddhiques). Vers le XIVe siècle, on imprima en noir, pour les besoins du culte bouddhique, des images de piété et c’est seulement au XVIIe siècle, que paraissent les premières estampes séparées. Relativement à la peinture, art plus ancien, essentiellement aristocratique et traditionnaliste, l’art de l’estampe est populaire et d’inspiration bouddhique : c’est l’ukiyo-e ou images du monde flottant (ou du monde contemporain – transitoire, vain) ; elle représente les mœurs de la vie quotidienne.

L’ère de l’estampe japonaise s’étend du XVIIe siècle (ère Edo), au moment où cet art se sécularise, jusqu’à la fin du XIXe siècle (ère Meiji), où l’apparition au Japon de nouvelles techniques de gravure, en même temps que l’influence de l’art occidental, détournent les artistes de talent vers d’autres horizons.

Les estampes japonaises sont donc issues de gravures sur bois. Il convient, avant tout, de remarquer que les dessinateurs ne gravaient pas eux-mêmes leurs œuvres. Ils exécutaient leurs dessins au pinceau, avec de l’encre de Chine, sur du papier mince et transparent, puis ils les livraient à des graveurs qui travaillaient sur des blocs de cerisier ou de buis, sciés dans le sens de la longueur du bois. Ils collaient sur ce bois le dessin exécuté sur papier transparent et, à l’aide de couteaux et de gouges, taillaient le bois de manière à laisser les traits en relief.

Ce travail achevé, ils procédaient à l’impression. Après avoir garni leur planche d’encre de Chine, ils y appliquaient fortement une feuille de papier humectée, sur laquelle le dessin se trouvait reproduit.

Depuis les origines jusque vers la moitié du XVIIIe siècle, les estampes furent imprimées en noir sur blanc. Au début du XVIIIe siècle les artistes eurent l’idée d’ajouter sur ces épreuves, mais à la main et au pinceau, diverses touches de couleurs.

Mais la plus ancienne épreuve d’impression en deux tons date de 1743: ces deux tons étaient (outre le noir des contours) le rose et le vert; vers 1760, un troisième ton fut ajouté : on eut alors le rouge, le jaune et le bleu; enfin, vers 1765, on trouve employée la polychromie complète, qui pouvait comporter une quinzaine de tons.

L’impression d’estampe en couleur nécessite d’avoir une planche dédiée par couleur. Le plus souvent, les différentes planches relatives à un même sujet sont taillées sur le même bloc de bois. Pour délimiter précisément les zones de couleur des diverses planches, on imprime une épreuve à l’aide de la planche maitresse, dite « planche de traits » où figure le dessin proprement dit et on applique cette épreuve, fraîche sur les autres planches de manière à y reporter le dessin. Ensuite un système de repérage par encoches permet de procéder à l’impression successive des différentes couleurs superposées sur la même feuille.

Enfin, alors que la gravure occidentale utilise des encres grasses, huileuses et assez opaques, appliquées au rouleau, l’imprimeur japonais, lui, utilise des pigments minéraux ou végétaux dilués dans de l’eau, couleurs rendues adhérentes par un mélange de colle de riz. La nature du produit utilisé et la manière de le poser à la main, au frotton, permet des effets de transparence et de dégradés.

Hokusaï Katsushika, né à Edo (ancien nom de Tokyo) en 1760 et mort en 1849, est le plus célèbre en France de tous les dessinateurs japonais. Celui qui s’est appelé lui-même le « vieillard fou de dessin » n’a cessé de travailler et de se perfectionner jusqu’à un âge fort avancé. Quand il mourut, à quatre-vingt-dix ans, il avait produit, dit-on, plus de 30.000 dessins.  

Hiroshige Utagawa (aussi appelé  Hiroshige Ando), né en 1797 à Edo et mort en 1858, est avec Hokusai l’un des très grands noms de l’ukiyo-e et, en particulier, de l’estampe de paysage et de la vie quotidienne. Sa série, Les Cinquante-trois Étapes de la route du Tokaido, le lance et lui vaut la célébrité immédiate en 1833-1834. Auteur prolifique, actif entre 1818 et 1858, il crée une œuvre constituée de plus de 5 400 estampes.

Les estampes japonaises ne commencèrent à être connues en France qu’à partir du dernier tiers du XIXe siècle et influenceront un grand nombre d’artistes, dont Van Gogh, Monet ou Sisley. Mais c’est aussi à ce moment-là que l’originalité de l’art de l’estampe japonaise commença à décliner, sous l’influence européenne.

La linogravure, autre technique de gravure en relief

Apparue vers 1900, la linogravure est une technique proche de la gravure sur bois.

L’artiste exécute un dessin préparatoire sur une plaque de linoléum. Il creuse les blancs (les “réserves”) autour de sa composition (gravure en “taille d’épargne”). L’encrage, au rouleau ne touchera que les parties en relief. Les zones colorées sont homogènes. Les outils utilisés pour la gravure sur bois conviennent parfaitement à la linogravure ; les gouges sont les outils de base de cette technique qui présente l’avantage de la rapidité d’exécution et de la souplesse d’utilisation.

Les tirages sont souvent limités car il s’agit d’un support tendre. Le linoléum, revêtement de sol, est un agglomérat à base de poudre de liège.

La gravure à plat sur pierre, ou lithographie : de l’art à l’industrie

La réalisation d’une lithographie (du grec lithos, « pierre » et graphein, « écrire ») débute par le dessin de l’artiste sur une pierre calcaire. C’est une gravure à plat et non en relief.

Le dessin réalisé à la graisse, à l’aide des outils du peintre, (pinceau, crayon) est ensuite successivement passé à l’encre et à l’eau. Le procédé repose sur le principe chimique de la répulsion du gras et de l’eau : pendant le tirage, la pierre est constamment mouillée si bien que les parties dessinées, qui sont grasses, refusent l’eau mais acceptent l’encre, elle-même grasse, des rouleaux encreurs.

La feuille de papier est ensuite pressée pour découvrir l’estampe finale. On reconnaît ce procédé par les angles arrondis que laisse parfois la pierre lithographique sur le papier. Contrairement à la gravure, qui laisse une empreinte en relief sur le papier, l’impression à plat se fait par transfert.

L’intérêt de la gravure sur pierre est qu’elle peut résister à des milliers d’impression et que l’on peut la réutiliser à l’infini. Elle est devenue ainsi la technique de l’estampe la plus populaire.

Le procédé est plus complexe à réaliser pour les lithographies polychromes, ou chromolithographies, chaque couleur nécessitant, comme pour le bois, une pierre préparée, dessinée et encrée pour être ensuite passée sous la presse. La feuille est calée pour être toujours parfaitement positionnée sur la presse.

Au XIXème siècle, grâce à la mécanisation des procédés de production, la lithographie devient un moyen de diffusion important. On imprime des publicités en chromolithographie, ou encore des affiches de théâtre. Et de nombreux livres sont illustrés avec cette technique.

Au XXème siècle de très nombreux artistes ont travaillé la lithographie dans le but de diffuser leur art au plus grand nombre et, aussi car cette technique offre des possibilités esthétiques intéressantes. On peut, à cet égard, citer deux lieux historiques de leur fabrication : l’atelier Fernand Mourlot, ayant reçu Picasso, Matisse ou Miro, et l’atelier ARTE, qui a alimenté les éditions originales de la galerie Maeght.

Au XXIème siècle, il reste très peu d’ateliers manuels de lithographie, les procédés mécaniques et photographiques d’impression s’étant largement substitués à l’art de la lithographie.

La gravure en creux, sur métal ou sur verre/cristal.

La gravure en creux peut être réalisée sur du métal, (cuivre, étain, acier etc) mais aussi sur du verre ou du cristal. La gravure sur métal se fait selon plusieurs procédés. On peut citer par exemple : 

La gravure directe ou taille douce, dans laquelle le dessin est réalisé avec des outils, burin, pointe sèche, grattoir, polissoir etc. La plaque en métal est ensuite encrée, essuyée et passée sous presse.

La gravure à l’eau-forte, dans laquelle la plaque de métal est couverte d’un vernis inattaquable aux acides. Le dessin est réalisé avec une pointe qui enlève ce vernis. Le travail de la pointe étant terminé, un acide (acide nitrique également appelé eau-forte, ou autre acide moins toxique) est versé sur la plaque qui entame le métal aux endroits ou la pointe l’a mis à découvert. On nomme eaux-fortes de peintre les planches gravées ainsi d’une manière définitive, et eaux-fortes de graveur celles où l’on a seulement préparé un travail qui doit être terminé au burin.

Dans le procédé de la manière noire ou mezzotinte, la matrice est d’abord “grainée”, procédé qui consiste à créer sur la plaque un ensemble régulier et uniforme de petits trous qui retiendront l’encre. Si la planche était encrée à ce stade, on obtiendrait un noir parfait et velouté. Les gris, les demi-teintes et les blancs apparaissent en couchant plus ou moins le grainage à l’aide d’un grattoir et en polissant les pointes rugueuses de la surface avec un brunissoir. La manière noire permet une grande variété de teintes et l’encrage de la plaque s’effectue avec un tampon doux. La préparation du support est particulièrement fastidieuse, l’impression délicate, et cette technique est aujourd’hui peu utilsée.

La gravure au lavis ou aquatinte est une technique dérivée de l’eau-forte qui permet d’obtenir une surface composée de points.

Ce procédé donne des effets de “dégradés” et de demi-tons. Le résultat s’obtient avec une poudre de résine plus ou moins fine qui est saupoudrée sur le support (plaque de cuivre) et que l’on chauffe pour la faire fondre, puis durcir et enfin adhérer fortement au métal. Il en résultera une sorte de trame par points qui résistera à l’action de l’acide. Celui-ci creusera le métal entre les points (morsure plus ou moins profonde, selon l’effet que l’artiste souhaite obtenir).

Cette technique est souvent mariée à l’eau-forte (un peu comme un lavis vient parfois s’unir à un dessin à l’encre).

SOURCES :

Techniques de la gravure par Maxime PREAUD

http://expositions.bnf.fr/bosse/reperes/index2.htm 

Claude Gondard, « Les procédés de gravure », Bulletin de la Sabix, 47 | 2010

DOI : https://doi.org/10.4000/sabix.945

https://journals.openedition.org/sabix/945

Philippe Le Stum, « Une leçon japonaise : la gravure sur bois en couleurs en France, 1889-1939 », Ebisu, 51 | 2014.

DOI : 10.4000/ebisu.1484

https://journals.openedition.org/ebisu/1484?lang=en

https://www.collin-estampes.fr/?idr=4&lang=fr

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Gravure

https://ateliers-migrateurs.net/gravure/gravure-estampe-qu-est-ce-que-la-gravure/

https://www.lateliercanson.com/les-differentes-techniques-de-la-gravure#:~:text=Son%20impression%20sur%20papier%20est,la%20presse%20lors%20du%20tirage

https://www.nippon.com/fr/views/b02306/amp/

https://www.cosmovisions.com/artEstampes-Japonaises.htm
https://www.cosmovisions.com/artGravure.htm

https://www.mchampetier.com/glossaire-art-estampe-lithographie-gravure-serigraphie.html